Ajahn Pane Anantho, un maître aux sept perfections (ພຣະອາຈານ ມະຫາປານ ອານັນໂທ)

« Personne ne peut nous sauver, à part nous-mêmes. Personne ne peut et personne ne le fera pour nous. Nous devons nous-mêmes marcher dans notre propre voie », dit Bouddha.

Portrait d’Ajahn Pane Anantho, jeune bonze (Photo: Lao Temple)

Phra Maha Ajahn Pane Anantho, le plus grand maître de l’école des moines de la forêt du Laos, dont il fut le fondateur, était né pour servir et il savait instinctivement qu’il devait se sauver par lui-même bien avant de croiser, presque par hasard, le chemin du Dharma. Par la suite, il n’arrêterait plus -et ce jusqu’à sa mort en 1968- de chercher la voie pour venir en aide au plus grand nombre de personnes afin que chacun puisse, non seulement, connaître la vraie nature de son cœur, mais surtout qu’il/elle trouve la clé pour mettre en pratique les Quatre incommensurables, sources de bienveillance, de compassion, d’altruisme et d’équanimité.

Le dernier né d’une fratrie de quatre personnes, dont une sœur, l’enfant Pane Kèosomphou avait vu le jour le 25 octobre 1911 dans un petit village nouvellement créé au milieu d’une forêt, dans la province de Savannakhet, au sud du Laos. En lançant ses premiers cris au monde au 4ème jour de la lune croissante du 12ème mois de l’an 2454, de l’ère bouddhique, à sept heures précises du matin, le futur fondateur de l’école des moines de la forêt du Laos possédait déjà de sérieux atouts pour s’épanouir et pour réussir sa vie, le « 7 » étant un chiffre particulièrement important dans la cosmologie bouddhique et t’aie-lao. Il est, par exemple, la somme du « 3 » matériel et du « 4 » spirituel, et signifie donc « création ».

Très jeune et très tôt, il mettait alors en pratique -sans la connaître- l’une des règles des Quatre Incommensurables, le Karuna ou la compassion, envers tous les êtres animés, à commencer par les buffles et les vaches qu’il élevait et gardait en lieu et place d’aller à l’école comme tous les jeunes citadins de son âge. Et c’est pour préserver le bétail familial de l’attaque répétée des tigres qu’il décida d’apprendre les Gatha (ຄາຖາincantations, formules magiques) pour combattre les félins au lieu de profiter de la joie de vivre en jouant avec les enfants de son âge, ou de mener une existence insouciante qui réussit si bien à la jeunesse, innocente et sans responsabilité aucune. Son père, un notable local (il avait le titre honorifique de Phia) et un ancien bonze (on l’appelait Thid Sène), avait dû céder l’un de ses buffles les plus robustes en paiement (on dit khai ຄາຍ en Lao) de cette leçon donnée par un maître birman. Depuis lors, bêtes et paysans coulaient des jours tranquilles et des nuits paisibles.

Connexions et compassion

Déjà, apparaissaient ses futures connexions nationales et internationales ainsi que sa propension à privilégier l’essentiel et l’intérêt général aux dépens du superflu et du chacun pour soi.

C’est très inhabituel pour un jeune paysan d’éprouver autant de compassion pour ses compagnons de vie, surtout qu’ils ne sont pas des humains comme lui. C’est certainement la dureté de sa propre condition d’existence qui expliquerait cette proximité avec tous les êtres animés, sa compassion et son amour pour eux. Parce qu’il pressentait, probablement déjà, que c’est nous-mêmes qui créons notre propre karma, en bien ou en mal, et personne d’autre que nous ne pourra jamais le changer.

Phra Ajahn Pane Anantho lors d’une visite d’un élevage de moutons en Inde (Photo; Lao Temple)

« Toutes les créatures sont comptables de leurs actions propres (et ce durant toute leur existence). Il est impossible que ces créatures trouvent le bonheur, ou échappent à la misère, ou soient privées de leur richesse, par le désir de quelqu’un d’autre », professerait-t-il quelques dizaines d’années plus tard.

Est-ce sa grande compassion pour les êtres qu’il côtoyaient de manière quotidienne qui l’avait alors empêché de « voir » sa voie ? Toujours est-il que Maha Ajahn Pane était entré dans le bouddhisme, non pas par un choix délibéré, mais en se conformant à une tradition séculaire : il s’était fait novice d’un jour, à l’âge de 17 ans, pour conduire son père, décédé subitement, à sa dernière demeure. Les croyances populaires lao affirment que l’enfant mâle, qui se sacrifie pour mourir symboliquement en tant qu’homme avant de renaître en disciple de Bouddha, transmet alors tous les mérites de son acte à l’âme de son géniteur afin de le guider vers le paradis, ou Nirvana.

Sans le savoir à l’époque, mais il théoriserait plus tard sur les trois types d’enfant, Phra Ajahn Pane Anantho entendait sans doute se comporter en Aphisatâbout (ອະພິຊາຕະບຸດ) ou le fils qui dépasse en tout ses parents. Comme son père avait été bonze, il devait donc marcher sur ses pas en tentant de faire mieux que lui. Mais quoi et comment ? Il n’avait alors aucune idée précise dans la mesure où il aurait même aimé retrouver la vie civile sitôt ses obligations coutumières terminées, les obsèques paternelles en l’occurrence. Mais en enfant bien élevé et respectueux de la tradition familiale de piété et d’obéissance filiales, il avait évidemment répondu positivement à la demande unanime de sa maman et de sa famille de rester Aichoi (ອ້າຍຈົວ) jusqu’au jour du Cherkhao (ແຈກເຂົ້າ première fête de transfert des mérites à un défunt qui prend alors conscience qu’il ne fait plus partie du monde des vivants) et la fin du cycle de deuil, de veillée funèbre et de grande tristesse, afin de laisser se réinstaller le cycle de la vie, de l’impermanence, de la joie et de la peine ordinaires d’une existence au quotidien.

Coeur et esprit obscurcis...

Phra Ajahn Pane Anantho voulait retrouver ce qu’il qualifierait quelques décennies plus tard d’« univers des êtres dont le cœur et l’esprit sont naturellement habités, obscurcis, sans exception aucune avec juste une petite différence d’intensité -peu ou beaucoup-, par la vengeance (Phagnabad ພະຍາບາດ en Lao), l’oppression d’autrui (Vihingsa ວິຫີງສາ), la haine d’autrui (Arâti ອະຣະຕິ), et le plaisir sensuel (Rakhâti ຣາຄະຕິ). » Il apporterait, fort heureusement, une solution pour combattre -et vaincre le cas échéant- ces quatre racines du mal afin de redonner à notre cœur, et à notre esprit aussi, la clarté et la pureté innocente de notre enfance. En restant au service de l’enseignement de Bouddha jusqu’à la fin de ses jours…

Phra Ajahn Pane Anantho en Inde (Photo: Lao Temple)

Il découvrit, en effet, que la vie monastique pouvait lui permettre d’apprendre à lire et à écrire, lui qui avait passé son enfance à surveiller, à protéger et à vivre (avec) le bétail familial. Aussi sollicita-t-il l’autorisation de rester dans le sangha à sa mère et à sa famille, le temps d’apprendre suffisamment les subtilités de notre langue. Très doué, et surtout très curieux et ayant une soif inassouvie de découverte, d’exploration de l’univers des Ecritures bouddhiques, il se passionnait naturellement pour le Pali, langue historique des Ecritures, justement. Parce qu’il désirait ardemment être capable de psalmodier des préceptes, de prodiguer l’enseignement de Bouddha lors des Thetsana (ເທດສະໜາ) ou sermons, et parce qu’il voulait approfondir sa formation et élargir ses connaissances.

Cette passionnante quête du savoir l’avait conduit, presque imperceptiblement, à ses 20 ans, c’est-à-dire à l’âge de la majorité bouddhiste et d’un choix de vie : devenir bonze ou quitter le froc afin de retrouver la société laïque. Pour Phra Ajahn Pane, sa voie, sa destinée et sa raison d’être étaient clairement tracées : servir l’enseignement de Bouddha et faire connaître au plus grand nombre le Dhamma.

Il fallait donc procéder à son ordination (Uppasomboth ອຸປະສົມບົດ) et quatre vénérables de haut rang (ຍາທ່ານ Gnathane) s’étaient alors chargés de l’organisation matérielle et rituelle. Le premier fit don d’un Kongbouat (Chao mounla sattha ເຈົ້າມູນລະສັດທາ) ; le deuxième hérita de la responsabilité de l’ordination proprement dite (Ong Upassa ອົງອຸປັດຊາ), c’est-à-dire d’être le représentant de Bouddha puisqu’à l’origine ce fut l’Eveillé qui se chargea d’ordonner ses disciples en prononçant la formule Ehi Bhikkhu Upâsam Patha (Venez, ô bonze. Notre Dhamma est bon, vous pouvez venir le pratiquer de manière juste afin d’échapper aux souffrances) ; les deux derniers étant une sorte de témoins de moralité (Kamma vaja gauche et droite, ກໍາມະວາຈາ ຊ້າຍ-ຂວາ) en charge de lui poser des questions sur sa sincérité à servir Bouddha et son enseignement, ainsi que de l’informer des règles de base du Dhamma et de ses responsabilités nouvelles. Il y avait en tout 21 bonzes dans le sima pour permettre à Nen Pane d’entrer dans l’univers des Bhikkhu.

Kong boun et Kong bouat

Le Kongbouat (ກອງບວດ), ou plus généralement le Kongboun (ກອງບຸນ), que l’on peut traduire littéralement mais de manière peu satisfaisante par respectivement « tas d’ordination » ou « tas de mérites », est l’élément central, incontournable, de toute fête bouddhique. Il s’agit des éléments constitutifs d’un ménage avec un lit, une moustiquaire, des oreillers, une couverture, un Bad ou récipient à offrandes, l’ensemble des vêtements monastiques appelés Phakai Chivone (ຜ້າໄກ ຈີວອນ) etcomposé d’un juste-au-corps, d’un sarong, d’une ceinture en coton, d’une grande toge servant à recouvrir la totalité du corps ainsi qu’une grande écharpe de cérémonie (Pha sangkha ຜ້າສັງຄາ) et un sac en tissu. On y trouve aussi le nécessaire à la vie quotidienne (couteaux, appareil à faire cuire le riz gluant et/ou blanc, assiettes, couverts, bols, seau d’eau, casseroles etc.) ainsi que de la nourriture (riz, gâteaux) et un peu d’argent. Sur le Boun kongbouat et le Boun konghod CF. https://laosmonamour.wordpress.com/2016/07/21/laos-boun-kong-hod-ou-la-promotion-dun-bonze-a-leau-benite-%e0%ba%9a%e0%ba%b8%e0%ba%99%e0%ba%81%e0%ba%ad%e0%ba%87%e0%ba%ab%e0%ba%bb%e0%ba%94/.

Les trois années passées à apprendre le Pali et à étudier l’enseignement de Bouddha avaient transformé en profondeur les caractères de Phra Ajahn Pane Anantho, plus que jamais décidé à servir le Dhamma et à guider chaque être vers la découverte de la vraie nature du cœur de chacun. Pour bien montrer sa détermination, il avait fait à lui-même et au sangha, sitôt son ordination terminée, trois serments : devenir un orateur de Thetsana (ເທດ) avec une belle voix -une sorte de ténor- afin d’aider à propager le Dhamma ; apprendre dans les moindres détails les fondements du bouddhisme ancien et, enfin, rester bonze pendant quatre ans -comme les quatre pieds d’un lit- pour pouvoir devenir, en quittant le sangha, un Morlam (ໝໍລໍາ chanteur) capable de répondre, dans un chant alterné, à des questionnements et des devinettes de la Morlam.

Bailane, support de lecture et d’enseignement du Pali (Photo: Sithchange)

Le chant alterné avec deux morlam, donc, un homme et une femme, est un spectacle très prisé dans les fêtes de village ou les festivités du calendrier bouddhique. Cette variété musicale, appelée Lam phagnâ yoi (ລໍາພະຫຍາຍ່ອຍ), se révèle doublement périlleux dans la mesure où chacun des deux protagonistes devient tour à tour celui/celle qui pose des questions et celui/celle qui doit apporter une réponse. De plus, rien n’est écrit à l’avance et les deux chanteurs, pourvus d’un don particulier appelé or-nam-lay (ອໍ້ນໍ້າໄຫລ), inventent leur prose au fur et à mesure du déroulement du spectacle. Le tout doit respecter une versification assez stricte même s’il n’existe aucune codification écrite. Khouba Pane avait, donc, raison de vouloir approfondir ses connaissances, de perfectionner ses réflexes intellectuels et d’aiguiser son sens de l’à-propos, les échanges dans un chant alterné pouvant comporter des propos osés, des paroles grivoises, même si tout se fait par l’intermédiaire d’images poétiques, des métaphores florales ou d’hyperboles savantes. 

« Quitter le sangha avant quatre ans m’exposera à des critiques et des sous-entendus malveillants. Les mauvaises langues diront que je m’étais fait bonze juste pour avoir le kongbouat », expliqua-t-il.

Pour atteindre ses objectifs, il quitta Savannakhet, sa ville natale, à destination d’Ubon, situé sur la rive droite du Mékong, en Isane, et ses différentes pagodes. La partie nord-est de l’actuelle Thaïlande, mais naguère territoire d’Anachack Lanexang, était aussi la terre de naissance, de formation et d’éclosion du vénérable Ajahn Chah, le plus grand maître de l’école de la forêt de Thaïlande. L’espace géographique naguère uni d’Isane et de la partie sud du Laos se révèle d’ailleurs comme une terre particulièrement propice à l’avènement de grands maîtres du bouddhisme avec, entre autres, Luang Pu Nenkham Chattigo ou encore, quelques siècles auparavant, Somdeth Loun (1850-1920) et Phrakhou Phonsameck (1631-1720). Ce dernier grand maître avait d’ailleurs séjourné et enseigné à Wat Sok Paluang, futur siège du centre de Vipassana fondé par Phra Ajahn Pane. Comme les racines des arbres d’essences rares, les connexions entre grands maîtres finissent toujours par se rejoindre d’une manière ou d’une autre et ne connaissent, donc, ni frontière et encore moins d’espace-temps.

Départ pour Vientiane, la capitale

Après avoir complété les cinq Khamphi (ຄໍາພີ ທັງຫ້າ) selon les règles traditionnelles, à Ubon, Phra Ajahn Maha Pane Anantho était retourné dans sa ville natale où il avait d’abord créé une école de formation au Pali ancien (Moulàkàchaï ມູລະກະຈາຍ) avant de partir à Vientiane, la capitale, en 1935, en raison de la présence d’un centre d’études bouddhiques à Wat Chanh (ວັດຈັນ) avec des professeurs de renom comme Maha Kèo Rajvong et Maha Sila Viravong, deux « pères » de la littérature lao moderne. Le sérieux du centre, dont le conseil scientifique était présidé par le prince Phetsarath, vice-roi et plus tard fondateur du mouvement Lao Issala, était alors bien établi. Quatre ans plus tard, il décrocha l’équivalent de la licence (Maha prariène sam prayock ມະຫາປະຣຽນ ສາມ ປະໂຫຍກ) ou Maha 3ème échelon, lui permettant d’être nommé professeur de Pali dans une autre pagode de la capitale, le centre se développant avec des antennes à travers le pays.

Tout en professant la langue des Ecritures, il poursuivait également les études en vue de l’obtention du diplôme le plus important délivré alors par le centre : le Maha prariène hoc prayock, l’équivalent de la maîtrise ou Maha 6ème échelon, Maha prariène kao prayock étant l’échelon académique le plus élevé des études bouddhiques. Il décrocha son dernier diplôme en 1941 et se mit à visiter, trois années durant, les différentes pagodes de Vientiane pour y délivrer des Thetsana et l’enseignement de Bouddha ainsi que sa technique de la méditation Vipassana, une méthode de transformation de soi par l’observation de soi grâce à une profonde interconnexion entre l’esprit et le corps.

Phra Ajahn Pane Anantho donnant des cours à Wat Sok Paluang (Photo: Lao Temple)

Phra Ajahn Pane Anantho leur apprenait tout d’abord à se concentrer sur l’instant présent, à investir entièrement leur esprit et leur être dans le moment ici et maintenant, à oublier le passé et à ne pas penser à l’avenir. Il leur donna aussi un exercice tout simple, en apparence, à réaliser. Chaque nuit, avant de s’endormir, il était demandé aux fidèles, allongés sur le lit, de rendre d’abord hommage au Triple Joyau en récitant trois fois le Namo Tassa, puis de se rappeler de ce qu’ils avaient fait ce matin, à leur réveil, puis à midi, et enfin le soir avant de se mettre au lit. Puis, progressivement, ils devaient se souvenir de leurs faits et gestes heure par heure : qu’a-t-on fait à cinq heures, à six heures, en entrant dans la chambre, ou en prenant le bus, le métro, pour se rendre au travail, etc. Le maître désirait que ses disciples aient une conscience claire, éveillée, à chaque instant : quand ils marchent, quand ils sont debout ou assis, lorsqu’ils se saisissent de quelque chose, ou quand ils regardent à gauche ou à droite, etc. C’était la « pleine conscience » bien avant sa théorisation par Jon Kabat-Zinn en 1979. Plus tard, Phra Ajahn Pane demanda à ses disciplines et élèves de se souvenir de ce qu’ils avaient fait il y deux jours, il y a trois jours, ainsi de suite.

Cette pratique assidue permet à chacun de se remémorer ses faits et gestes d’il y a une semaine, puis un mois et même au-delà pour les plus consciencieux qui allient méditation (bhavana), discipline éthique (sila) et connaissance du réel (prajna). C’est l’étape suivante de la pratique Vipassana qui participe au développement de la perspicacité et de la sagesse grâce à la compréhension de la vraie nature de la réalité.

Les Quatre incommensurables…

Phra Ajahn Pane Anantho initiait, par la suite, élèves, disciples et fidèles aux Quatre Incommensurables, qui sontà la base du travail d’auto-purification et de renaissance pour tout candidat à l’apprentissage du Vipassana, puisque Mettà en pali et en lao (Maitri en sanscrit) est la bienveillance envers tous les êtres, avec en particulier le souhait, l’incommensurable espérance, que tous trouvent le bonheur ainsi que ses causes. La bienveillance s’accompagne naturellement de la compassion ou Karuna (pali et s.) avec, encore une fois, l’immense espoir que tous soient libérés de la souffrance et de ses causes, la souffrance étant la quintessence des Quatre nobles vérités. En corolaire au souhait de libération de toute souffrance, c’est celui de la joie sans souffrance pour tous les êtres ou Mudita (p. et s.). Enfin, Uperkkha (Upeksa, s) ou l’équanimité est le souhait que tous restent, en toutes circonstances, en paix, égaux, et libres de partialité, d’attachement et d’aversion.

« Tous les êtres, qu’ils soient des humains ou des animaux, ne trouveront l’harmonie et la paix intérieure que grâce au Dhamma : Mettà, Karuna, Mudita et Uperkkha. Parce que s’ils n’éprouvent plus de vengeance (Phagnabad), d’envie d’oppression d’autrui (Vihingsa), de haine (Arâti), et du plaisir sensuel (Rakhâti), alors, ces êtres, qu’ils soient des humains ou des animaux, trouveront pareillement harmonie et paix intérieure », enseignait-il notamment aux fidèles.

Phra Ajahn Pane Anantho lors d’une cérémonie dans une rizière (Photo: Lao Temple)

En 1946, Phra Ajahn Pane Anantho avait dû interrompre son enseignement et aller se réfugier à Sixiangmay, sur la rive droite du Mékong, en raison des escarmouches liées au conflit franco-siamois qui voyaient alors des bombes exploser à Vientiane même, y compris dans la cour de la pagode où il résidait. Deux autres vénérables étaient également du voyage. Après une nuit passée à la ville d’étape, les trois vénérables et leurs accompagnateurs descendirent le Mékong par pirogue pendant deux nuits avant d’atteindre leur destination, Nongkhaï, qui deviendra, le 8 avril 1994, la première ville d’Isane à être reliée -réunie ?- au Laos par un pont. Il devait rester jusqu’en 1951 dans cette province, séjournant dans différentes pagodes durant les périodes de carême bouddhique.

C’est, justement, dans l’une d’elle qu’il avait tenté d’effectuer un Vipassana très poussé, extrême même, en jeûnant pendant 15 jours. Mais, comme Bouddha avant son Illumination, ce fut un retentissant échec : trop affaibli et ayant énormément souffert physiquement, il arrêta et changea de méthode. Il se rendit, par la suite, à Bangkok, capitale de la Thaïlande. Il se fixait à l’un des centres les plus renommés de la pratique de la méditation, la pagode Maha That (ວັດມະຫາທາດ) du grand maître Phra Ajahn Thane Chaokhoune Phraphimontham (ພຣະອາຈານ ທ່ານເຈົ້າຄຸນ ພຣະພິມົນທັມ) et où professait notamment Phra Ajahn Phavanna Philamà Théra (ພຣະອາຈານ ພາວະນາ ພິລາມະ ເຖຣະ). Il y recevait aussi, de la part d’un maître birman, l’enseignement d’Aphitham (ພຣະອະພິທັມ), ensemble des règles de Dhamma et leur explication théorique sans tenir compte des événements et des êtres.

Wat Mahathat à Bangkok en 2020 (Photo: Thai2Siam.com)

En à peine sept mois, Phra Ajahn Pane avait complété l’ensemble du cursus du centre. Ses qualités d’élocution et la clarté de sa belle voix lui avaient valu d’être invité à prodiguer des Thetsana, à titre d’essai au départ, puis de manière régulière, d’autant qu’il attirait de plus en plus de fidèles à ses sermons. Il restait à Wat Maha That jusqu’en 1954 avant de retourner à Nongkhaï à l’invitation d’une délégation envoyée à Bangkok expressément pour le ramener à sa pagode d’origine. Dès son retour à Wat Bane Dongkhème (ບ້ານດົງແຂມ), il avait mis en place l’enseignement de la méditation Vipassana qui connaissait alors un grand retentissement à travers toute la région. Des fidèles affluaient pour assister aux sessions ainsi que pour faire don des Kouti (petite habitation sur pilotis avec juste une porte et une fenêtre ainsi qu’un équipement sommaire) destinés aux méditants. En tout, 25 kouti avaient été construits en très peu de temps alors que Phra Chaokhoune Phraphimontham avait fixé comme conditions au départ d’Ajahn Pane la construction de deux kouti, l’un portant son nom et l’autre celui d’Ajahn Pane Anantho.

Le nouveau maître des lieux n’oubliait pas, pour autant, sa terre ancestrale et effectuait de fréquentes visites à Vientiane pour délivrer des Thetsana et donner l’enseignement de Vipassana dans les pagodes où il avait passé le carême bouddhique avant son exil en raison de la guerre. Après la région de Nongkhaï, sa réputation se répandit jusqu’à Vientiane. Tant et si bien qu’une importante délégation, avec à sa tête le très respecté Gnaphor Phimpho Philaphandeth (ຍາພໍ່ ພີມໂພ ພິລາພັນເດດ), se rendit à Nongkhaï en 1955 pour prier Phra Ajahn Pane de retourner au pays. Ce qu’il accepta sans aucune réserve. C’est lors de l’année de son retour qu’il faisait ouvrir un premier centre Vipassana Kammathâne, à Luang Prabang. Dans un premier temps, il résidait dans une pagode du centre de Vientiane, le temps de trouver un site propice à la pratique du Vipassana tout en ayant un passé riche en rapport avec l’école des moines de la forêt.

Retour à la terre ancestrale

« Quatre grands maîtres de Vipassana avaient séjourné à Wat Maha Phoutthavongsa Paluang : Somdeth Phra Sangkarath, Somdeth Phra Maha Vixay, Somdeth Maha Phouttharangsy et Phrakhou Phon sameck », lisait-il un jour dans Histoire de Wat Maha Phoutthavongsa Paluang, Muong Sisattanark, Vientiane.

Il demanda alors à une équipe d’inspection de se rendre sur place afin de vérifier la véracité du document et, surtout, de tenter de retrouver des vestiges ou des restes archéologiques de ce grand centre de méditation qui semblait avoir connu un grand rayonnement. Les résultats de l’enquête comblaient le maître. Des restes d’une centaine de petits kouti, signes distinctifs d’un espace consacré à la méditation Vipassana, plusieurs Sima dont l’un des plus grands portait le nom même de la pagode, Poutthavong, 25 puits, 37 stupas, et cinq grandes statues de Bouddha. Les restes d’un autre grand Sima, celui ayant appartenu à Phrakhou Phonsameck, attiraient plus particulièrement l’attention puisqu’ils attestaient du séjour de ce grand maître, venu du sud du Laos, comme Phra Ajahn Pane. Des ruines, transparaissaient une grande richesse de l’art bouddhique et une rare dextérité de nos artisans.

Phra Ajahn Pane Anantho à son bureau de Wat Sok Paluang (Photo: Lao Temple)

Lors de l’installation de Phra Ajahn Pane Anantho, en 1957, Wat Sok Paluang mesurait un kilomètre de côté grâce, en grande partie, au parami ou vertu transcendante du nouveau maître des lieux qui avait alors « incité », ou « poussé » à la générosité, ou au remords, les anciens voisins qui s’étaient emparés du terrain en friche, et à l’abandon, de la pagode. Des ruines d’un grand sima se trouvaient d’ailleurs dans la propriété d’un habitant du village. Selon les données cadastrales de 1996, sa superficie n’est plus que de 66.912 m2… Soit moins de 7% de sa surface à la mort du fondateur de l’école des moines de la forêt en 1968 !

Après le feu vert du ministère des Cultes, Phra Ajahn Pane envoya une première équipe de quatre bonzes, accompagnés de novices, à Wat Phoutthavongsa pour les travaux de débroussaillage et de reconquête sur la nature. Des travaux avaient également été lancés pour reconstruire les kouti, les différents bâtiments inhérents à la vie d’une pagode. Le maître se rendit régulièrement sur place afin de surveiller l’évolution des travaux, leur bonne marche, tout en prodiguant conseils et encouragements à tous. Enfin, il décida, le 15 octobre 1957, de s’y installer pour fixer, ainsi, le centre principal de l’Ecole des moines de la forêt du Laos. La date de l’inauguration du Wat Maha Phoutthavongsa Paluang ou Wat Sok Paluang, symbole de la renaissance du bouddhisme au Laos après une période difficile liée au conflit franco-siamois et de l’instabilité politique régnant à l’intérieur du pays, n’avait pas été choisie au hasard, puisqu’elle correspondait à l’an 2500 de l’ère bouddhique, c’est-à-dire la moitié de la durée prévue (5000 ans) du règne du Dhamma, instauré par le Bouddha historique Gautama, avant l’arrivée sur terre d’un nouvel Illuminé. Un symbole fort de la vivacité, de la puissance et de la justesse des enseignements professés pour la première fois il y a, alors, exactement 25 siècles.

L’une des plus anciennes pagodes

Wat Maha Phoutthavongsa Paluang, de son nom officiel, mais que les gens préfèrent appeler Wat Sok Paluang, est sans aucun doute l’une des pagodes les plus anciennes du Laos. Selon Histoire du Laos de Maha Sila Viravong (ພົງສາວະດານລາວ par ຍາພໍ່ ມະຫາສີລາ ວີຣະວົງສ໌), Wat Sok Paluang avait été fondé en l’An 236 par Phra Chao Chanthabury Prasitthisak (ພຣະເຈົ້າຈັນທະບຸຣີ ປະສິດທິສັກ), un roi très pieux, pour en faire une donation à un Arahan (arhat ou arhant en sanscrit, arahant en pâli), Phra Maha Phoutthavong (ພຣະມະຫາພຸດທະວົງສ໌). Ce qui explique le nom officiel de la pagode, celle-ci lui ayant été « donnée » par le monarque. Ce dernier avait, également, fait édifier un second monastère, Wat That Foun (ວັດທາດຝຸ່ນ), au centre de Vientiane, au profit d’un autre Arahan, Phra Maha Satsady (ພຣະມະຫາສັດສະດີ).

A la même époque, trois Arahan, disciples de Phra Mahakashyapa (Mahakaspa ພຣະມະະຫາກັດສະປະ en lao), l’un des tout premiers et des plus importants disciples du Bouddha Gautama (ils furent dix en tout), étaient venus de l’Inde pour répandre le bouddhisme dans Anachack Lanexang. Ils étaient accompagnés et aidés dans leur tâche par cinq disciples -des ressortissants du royaume de Vientiane- ayant atteint, eux aussi, la dignité d’Arahan. Selon certains documents historiques, le même roi avait fait aussi édifier des pagodes à ces cinq Arahan, au sein même du Wat Maha Phoutthavongsa Paluang. Vu l’immensité du terrain attribué à cette pagode de la forêt, qui s’étendait du Phra That Luang au quartier de Chinaimo, soit 10 km de long, la construction de ces monastères semblait tout à fait réalisable. D’autant que, dans les temps plus anciens, il était courant qu’un souverain et sa cour accordent un territoire aussi important à une pagode ou un stupa de grande stature.

Statue du roi Sayasetthathirath devant le symbole du Laos, Phra That Luang (Photo de l’auteur, 2020)

Le roi Sayasetthathirath (1534-1571), considéré comme le « père » de Phra That Luang dans sa forme architecturale actuelle avec ses trois niveaux comme un clin d’œil au Triple Joyau, avait, par exemple, fait une donation d’esclaves et de soldats (des milliers), de terrain et de rizières (s’étendant jusqu’à Thalat, au confluent entre la Nam Ngum et la Nam Lik, soit plus de 85 km de longueur), d’animaux, de bijoux et, même, d’une princesse, la fille du monarque en personne, au stupa appelé alors Phra That Lokachunlamany Maharattana Chedy (ພຣະທາດ ໂລກະຈູລາມະນີ ມະຫາຣັດຕະນະເຈດີ), c’est-à-dire Phra That Kèo Douangpraseuth An Yodying khong Lok (ພຣະທາດແກ້ວ ດວງປະເສີດ ອັນ ຍອດຍີ່ງ ຂອງ ໂລກ), que l’on peut traduire de manière imparfaite par le plus précieux stupa chéri au monde.

Ce fut une période très faste pour le bouddhisme et sa branche Vipassana. Le roi Chanthabury Prasitthisak, avec notamment l’aide éclairée des cinq Arahan lao formés en Inde, construisit pagode sur pagode, et avait mis en place le Phra That Luang primaire. Selon les inscriptions des stèles déchiffrées par l’Ecole française d’Extrême-Orient (EFEO), le premier That aurait été construit sous la forme d’un obélisque au IIIème siècle avant l’ère chrétienne pour conserver des reliques du Bouddha historique Gotama, apportées par un haut dignitaire (qui serait le roi Prasitthisak lui-même) et des bonzes et chargés par l’empereur indien Asoka ou Ashokkamahalath de répandre le bouddhisme à travers l’Asie du Sud-Est. Le That originel, à base de pierre, aurait donc vu le jour du temps de la civilisation khmère ancienne, quand ses habitants s’appelaient encore des Cham. Sur Phra That Luang, CF. https://laosmonamour.wordpress.com/2012/11/27/phra-that-luang-the-symbol-of-lao-permanence/.

Phra That Luang et des pagodes

Lorsque le roi Sayasetthathirath transféra la capitale du royaume du Lanexang de Luang Prabang à V eientiane, en 1560, il poursuivait l’œuvre de construction des pagodes, stupas, statues de Bouddha et surtout du Phra That Luang, du roi Chanthabury Prasitthisak. C’est ainsi qu’il faisait édifier le grand stupa doré dans sa forme actuelle tout en contribuant à développer Wat Sok Paluang pour en faire le centre principal de Vipassana Kammathane. Avec notamment la construction d’un grand sala ou Horcherk pour permettre aux fidèles de se réunir et de faire la fête ensemble, ainsi que des stupas pour recouvrir le That kaduk des cinq Arahan ayant participé à la diffusion du bouddhisme au Lanexang et à la construction du That Luang primaire. Après la période faste du règne de Chanthabury Prasitthisak, le bouddhisme se trouvait alors à son apogée avec le roi Sayasetthathirath. Ce dernier poursuivant et complétant avec bonheur l’œuvre de piété bouddhique entreprise par son père, le roi Photisarath, très pieux lui aussi. A la mort du roi Sayasetthathirat en 1571, non seulement le royaume du Lanexang était en déclin, mais le bouddhisme ainsi que sa branche Vipassana connaissaient eux aussi une période très compliquée. Wat Sok Paluang n’échappait pas à la règle jusqu’à son renouveau au début des années 1950 et sa restauration entreprise par Ajahn Pane Anantho.

Wat Sok Paluang dans les années 2020 (Photo: Travelblog.org)

A l’apogée de Wat Sok Paluang, il y avait plusieurs centaines de bonzes, de novices ainsi que des nonnes en permanence. Plusieurs sessions de méditation avaient alors été organisées chaque semaine et la plupart du temps, la centaine de kouti pour méditants avaient été pris d’assaut. En 2022, seuls 35 bonzes, 40 novices et 20 nonnes habitent à Wat Sok Palung et, depuis la crise sanitaire liée au Covid-19, plus aucune session de méditation n’avait été programmée alors qu’elle se tenait une fois par semaine avant, le samedi.

De l’impermanence des choses et des êtres, ou Anicca, Bouddha en avait fait l’un des piliers de son Enseignement, et Phra Maha Ajahn Pane Anantho l’avait incluse dans ses règles de vie, ce qui lui permettait d’avoir sept perfections, appelées Kounnatham (ຄຸນນະທັມ). Une nouvelle fois, il rendait hommage au Bouddha Gautama qui, justement, effectua sept pas dès sa naissance. Les sept Kounnatham d’Ajahn Pane sont le Thammatan yuta, le Hoù atthan yuta, l’Attan yuta, le Mattan yuta, le Kalan yuta, le Prisan yuta, et enfin le Poukkhala Paropran yuta.

Les 7 perfections d’Ajahn Pane

Le Thammatan yuta (ທັມມະະຕັນຍຸຕາ) est la connaissance des causes de toutes choses. Par exemple, le maître savait ce qui provoquait le bonheur et ce qui se trouvait à l’origine du malheur.

Hoù atthan yutà (ຮູ້ອັດຖັນຍຸຕາ) est justement le complément du précédent puisqu’il s’agit de la connaissance des effets de toutes actions. Pourquoi sommes-nous tristes et pourquoi sommes-nous heureux ?

L’Attan yuta (ອັດຕັນຍຸຕາ) est la connaissance de soi, de ses propres qualités et défauts, de ses limites personnelles et de ses capacités afin de pouvoir agir en conséquence sans montrer ni arrogance ni retenue excessive.

Le Mattan yuta (ມັດຕັນຍຸຕາ) est la connaissance claire et nette de la vie et du comportement des êtres animés (humains et animaux) afin d’ajuster notre propre attitude pour que nos interactions avec eux ne soient pas mal perçues.

Le Kalan yuta (ກາລັນຍຸຕາ) est la connaissance du moment et de l’heure propices à l’accomplissement d’une tâche ou d’une action. Par exemple, bêcher ou retourner la terre tôt le matin ou tard l’après-midi dans les pays chauds.

Le Prisan yuta (ປຣິສັນຍຸຕາ) est la connaissance ou la compréhension claire des desiderata d’autrui en société afin de se comporter en conséquence.

Et, enfin, le Poukkhala Paropran yuta (ປຸກຄະລະ ປະໂຣ ປະຣັນ ຍຸຕາ) est la connaissance de la nature profonde des autres personnes afin de savoir qui l’on peut aider et avec qui l’on peut se lier d’amitié, ou établir des connexions.

Nous reviendrons plus en détail, dans d’autres articles, sur les principaux enseignements de Phra Maha Ajahn Pane Anantho qui n’existent, pour l’heure, qu’en laotien.

Austérité et sérieux

La notoriété de Phra Ajahn Pane Anantho dépassait très largement le cercle du Vipassana ou même celui du bouddhisme dans la mesure où son nom était celui le plus couramment cité dans les cours d’éducation religieuse. C’est d’ailleurs le seul nom de grand maître du bouddhisme lao que je connaisse depuis l’école primaire et mes années de collège, même si je ne savais absolument pas à quoi pouvait correspondre l’école des moines de la forêt et plus encore le Vipassana kammathane. Dans mon petit village, situé à sept kilomètres de la principale ville de la province, Thakhek, on se contentait de vivre le bouddhisme au quotidien en participant aux divers rituels : le takbad (ຕັກບາດ) du matin, l’offrande des deux repas journaliers aux bonzes, la participation aux fêtes du calendrier, l’aide apportée à ma grand-mère pour la préparation des dons, des bougies et des fleurs, etc. Je voyais bien ma grand-mère et les ainés du village effectuer une retraite à la pagode aux 8ème et 15ème jours de la lune croissante et décroissante, mais cela ne m’interpelait guère davantage. Le témoignage des anciens disciples de Phra Ajahn Pane met avant tout l’accent sur l’austérité et le sérieux des sessions de méditation ainsi que de la sévérité du maître qui n’accordait aucune faveur à qui que ce soit, et encore moins aux membres de sa propre famille.

« Le grand maître n’accepta pas une personne parce que c’est la tradition (de la pagode d’accueillir des gens) et par habitude. Il demanda toujours : ‘Que venez-vous faire ?’ Et son premier conseil à tout candidat au séjourWat Sok Paluang) fut invariablement : ‘Faites comme les maîtres. Ne faites pas comme les maîtres !Traduction : imitez les maîtres quand ils accomplissent de bonnes actions, mais ne les copiez pas s’ils venaient à commettre des actes illicites ou interdits », racontait la nonne (mèkhao ແມ່ຂາວ) Kèo Muongsène, propre nièce du maître.

Une noone (Mèkhao) rend hommage à une statue de Phra Ajahn Pane Anantho

« Pour celles qui aspirent à devenir mèkhao, la règle se révélait d’une grande sévérité : respecter strictement les huit préceptes, porter une chemise blanche, une jupe noire et une écharpe blanche pendant quatre ans. Ensuite, formation aux règles monastiques et au Dhamma entre trois et six mois avant de pouvoir se raser la tête et effectuer son entrée au service de l’enseignement de Bouddha. Et celles qui se risquaient à faire des yeux doux aux bonzes étaient immédiatement exclues sans aucune exception », ajoutait mèkhao Kèo.

« En ce qui concerne les bonzes ou les novices, leur zone de résidence était séparée de celle des mèkhao par une barrière. Et tout manquement aux règles disciplinaires ou monastiques entraînait de sévères punitions pouvant aller de la tonte (à la main) de la pelouse à l’exclusion pure et simple en passant par la corvée de vider les toilettes et de déverser leur contenu aux pieds des cocotiers pour les fertiliser. Quant au maître, il effectuait le binthabad tous les matins et participait aux travaux d’entretien de la pagode comme n’importe quel bonze ou novice. Sans jamais faillir à sa mission en dehors, bien sûr, des périodes où il tombait gravement malade », détaillait encore celle qui n’était devenue mèkhao qu’au bout de quatre années d’apprentissage et de pratique au quotidien des règles régissant la vie monastique des nonnes. A la mort de son oncle.

Il peut paraître surprenant que les mèkhao aient plus de règles à observer et une période plus longue à effectuer pour faire leur preuve par rapport aux bonzes et aux novices. L’explication est tout simple : au début, Bouddha ne voulait pas accepter dans ses ordres les femmes par crainte de les voir perturber ses disciples masculins et de les dévier ainsi de leur chemin vers l’illumination à cause de leurs attirances sexuelles. Il n’avait cédé que sur l’insistance de son tout premier disciple Ananda et de sa mère adoptive et tante maternelle, Mahaprajapati Gautami, qui désirait, elle aussi, marcher sur ses pas, et être au service de son enseignement. Un peu contraint et forcé, Gautama avait alors imposé des conditions plus sévères avec un plus grand nombre de règles et d’interdits aux femmes afin de protéger au mieux le sangha et le Dhamma : 311 pour les mèkhao ou moniales contre seulement 227 pour les bonzes.

Premier bonze lao docteur es métaphysique bouddhique

De son côté, Ghathane Maha Saly Kanta Silo, l’un des trois disciples envoyés en formation à Bangkok par Phra Ajahn Pane pendant sept ans, a estimé que le grand maître « avait laissé un héritage d’une très grande importance à la population lao sur la pratique du Vipassana Kammathane, toujours d’actualité aujourd’hui comme elle le sera encore à l’avenir ». « Je le respecte comme mes propres parents, au même titre que le vénérable qui m’avait fait bonze », a ajouté celui qui avait succédé à Phra Maha Ajahn Pane Anantho à la tête de Wat Sok Paluang. Il a également souligné la « personnalité exceptionnelle » du fondateur de l’école des moines de la forêt en se souvenant d’une aura jamais vue jusque-là parmi les grands maîtres. « Ses paroles, adressées aux laïcs tout comme aux religieux, novices, bonzes, vénérables etc., étaient toujours empruntes de Dhamma. Il parlait comme un érudit, un savant, en essayant d’amener chaque être vivant vers le nirvana. Mais il s’enquerrait également du sérieux, de la détermination, de l’engagement de chacun, avant d’accepter un candidat à son école. Ainsi, il m’avait demandé si j’avais pris la décision (de le rejoindre) par moi-même ou si j’accompagnais quelqu’un d’autre. Et que pensaient mes parents, mes maîtres de cette décision… ? », a encore témoigné Gnathane Saly.

Phra Ajahn Saly Kanta Silo (Photo: Wat Nakhoune-noï)

Premier bonze lao docteur ès métaphysique bouddhique à la célèbre université de Wat Mahathat de Bangkok, là même où le maître avait complété et terminé sa formation Vipassana, le vénérable Phra Maha Saly avait, par la suite, rejoint Wat-pa Nakhoune Noi (ວັດປ່າ ນາຄູນນ້ອຍ) l’un des centres vipassana le plus réputé, et créé le Programme bouddhique pour le développement en 2003.

La démarche de Phra Maha Saly Kanta Silo est, en tout point, conforme à celle menée par le fondateur de l’école des moines de la forêt du Laos et constitue, d’une certaine manière, une suite logique à l’œuvre initiée par Phra Maha Ajahn Pane Anantho. Le grand maître avait fait construire des centres de méditation, des sima, des kouti, des écoles, des foyers pour orphelins et avait lancé un magazine d’information, le bimestriel Buddhavongsa, en 1959. Cette propension à créer, tout comme la pratique au quotidien de travail manuel, inhérent au statut même des moines de la forêt, constituent les principales différences avec les bonzes dits de village ou de ville qui n’ont, au contraire, pas le droit de travailler. L’un des tout derniers disciples d’Ajahn Pane Anantho est l’illustration parfaite de cette recherche perpétuelle de se « rendre utile » afin d’aider tous les êtres à découvrir la vraie nature du cœur de chacun.

Tournon, un petit air de wat Sok Paluang

Envoyé en 1975 à Paris par son second maître Ajahn Chah pour fonder en France et en Europe la première pagode de l’école des moines de la forêt par un bonze réfugié politique, le vénérable Nyanadharo Visuddhinyano déborde d’activités, depuis plus de 40 ans maintenant, pour prolonger cet héritage, à la fois spirituel et matériel. Même si la spiritualité et la méditation vipassana constituent le fondement de sa vie, et sa raison d’être, il connaît également l’importance capitale de l’intendance matérialiste pour une existence méditative réussie. C’est la raison pour laquelle il passe ses « moments libres », sans obligations rituelles liées à la pratique au quotidien du bouddhisme, sur le terrain fort accidenté du monastère Bodhinyanarama de Tournon qui oblige à des soins et des attentions de tous les instants pour protéger les lieux du ravage, notamment, d’un ruissellement par trop violent des eaux de pluie. Le potager, qui fournit fruits et légumes bio, monopolise aussi les soins d’une équipe dévouée tandis qu’une autre unité s’occupe du nettoyage du ruisseau, dont la partie supérieure reste inaccessible en mars 2022 à cause d’arbres tombés et non encore traités, ainsi que du sous-bois du domaine. Un travail de titan qui ne s’arrête jamais, tout comme la quête de l’harmonie des contraires des disciples de l’école des moines de la forêt.

Ajahn Pane Khao entouré des représentants de diverses écoles bouddhiques, du roi coutumier de Hawaii, d’une chamane venue d’Amazonie et des représentants de la société civile et politique lors du 40e anniversaire de sa pagode à Tournon (Photo de l’auteur, 7.7.2017)

Comme son premier maître avant lui, le vénérable Nyanadharo Visuddhinyano effectue beaucoup de voyages en France et à l’étranger où ses « connexions » l’avaient notamment conduit en Thaïlande et au Laos naturellement, en Chine et à Shanghai où il avait été désigné à la surprise générale huitième patriarche ou élément lors du 800ème anniversaire de la fondation de la grande pagode de la mégalopole, en octobre 2016. En Californie, il avait été placé juste à côté du vénérable Chen Yu lors d’une récitation de mantras à l’université de Berkeley. « Vous pouvez chanter en Pali ? », lui demanda-t-il. « Yes, of course », répondit le maître de la Waken Temple d’El Monte en ajoutant qu’il avait l’impression de « se connaître depuis toujours ».  A Honolulu, Phra Ajahn Pane Khao a activement participé à la mise en place du Wat Lao Buddha Sacksit, situéau Sacred Falls International Meditation Center, enfaisant notamment don de deux météorites, enterrées dans les fondations d’un sima, « pour les générations futures ». En Amazonie, enfin, qui était pourtant sa terra incognita, il avait été reconnu par tous les chefs indiens comme « le guide spirituel que nous attendions depuis si longtemps ».

En deux générations de maîtres, le bouddhisme de l’école de la forêt a, en quelque sorte, « bouclé la boucle », puisqu’il a atteint la plus grande forêt de la planète, l’Amazonie, en partant d’un tout petit village du sud-Laos entouré d’une forêt alors habitée par des tigres.

Méditation, mondialisation, compassion…

Outre ses actions à caractère et à portée exclusivement bouddhiques, le vénérable Nyanadharo Visuddhinyano a également entrepris des activités à caractère plus social ou humanitaire. En étroite collaboration avec un chef d’entreprise breton, il avait ainsi contribué à la mise en place d’un réseau de distribution de produits français à Vientiane, fournir du travail à des jeunes connaissant des difficultés, accueillir à son monastère de Tournon toutes celles et tous ceux qui sont en quête de repères ou ayant besoin d’un espace d’existence à la fois rassérénée et contemplative. Il a aussi contribué à la mise en place, toujours en Bretagne, d’une maison pour autistes ainsi qu’un jardin qu’il qualifie de « communautaire », et de l’accueil d’une famille de réfugiés ukrainiens. Sur un plan plus global et à plus long terme, Phra Ajahn Pane Khao s’est engagé à aider le Prof. Franck Zal à mondialiser et à populariser le « premier transporteur d’oxygène universel à visée thérapeutique. »

« Merci professeur de m’avoir permis de démarrer une nouvelle vie à presque 80 ans », lui a dit en guise d’explications le Bhikkhu, contraint en 1968 de garder le froc à la suite du décès brutal de son maître, Phra Maha Ajahn Pane Anantho.

Une grande statue de Bouddha, amenée de Thaïlande, surplombe la pagode d’Ajahn Pane Khao, Tournon, le Rhône et les vignobles de Tain-L’Hermitage (Photo de l’auteur, mars 2022)

A la mort du maître, justement, le 13 novembre 1968, à l’âge de 57 ans dont 41 au service du Dhamma (3 années d’aichoï, 38 de bhikkhu-chercheur puis de maître-fondateur de l’école des moines de la forêt), le bouddhisme, et sa branche Vipassana parallèlement, a retrouvé au Laos son rayonnement d’antan après avoir connu un réel déclin en raison de la guerre franco-siamoise et d’une période d’instabilité politique à l’intérieur du pays. Des antennes de wat-pa avaient été créées en province (19) ainsi que dans la région de Nongkhai (11), avec un peu partout des écoles, des kouti pour bonzes, novices et nonnes, des foyers pour orphelins et un journal pour diffuser le Dhamma. Avant-gardiste de la communication moderne, Phra Ajahn Pane Anantho participait à une émission de radio trois fois par semaine, en plus des jours de préceptes ou Vanh-sine (ວັນສີນ). Plusieurs administrations, dont la direction des cultes, la Police nationale et le service psychologique des Armées, organisaient des séminaires sur le bouddhisme et la méditation. En mars 2012, le capitaine Thomas Dyer est devenu le premier aumônier bouddhiste à servir dans l’US Army, à Fort Benning, situé à la frontière entre l’Alabama et la Géorgie. Il a expliqué que la méditation zen pouvait apporter une meilleure discipline et une meilleure concentration aux soldats, ce qui leur permettrait de ne pas se disperser ou de paniquer sur un champ de bataille.

Ajahn Pane Khao à Paris lors des obsèques de son maître en 1975

Sa très grande réputation et sa contribution au développement du bouddhisme, sa branche Vipassana plus particulièrement, avaient valu à Phra Maha Ajahn Pane Anantho un traitement spécial une fois décédé, un peu à la manière d’un prince ou d’un roi. Dans la société t’ai-lao, il est de coutume de conserver pendant un certain temps le corps d’un cher disparu, en fonction de son statut social et de la situation financière de sa famille, et celui des princes, rois ou grands maîtres pouvant être gardé pendant plusieurs années afin de permettre à tous, à l’intérieur du pays ou venant de l’étranger, de lui rendre un dernier hommage. Le corps du fondateur de l’école des moines de la forêt avait été placé dans un grand cercueil en verre, lui-même inséré dans un catafalque construit à la manière d’un sima avec, à la base, trois semelles de tailles différentes comme des escaliers, sculptés et décorés, la toiture étant la réplique exacte de celle d’un Sala hongtham (ສາລາ ໂຮງທັມ), ou d’un sima, décoré de têtes de naga et avec un dégradé de trois toits posés l’un au-dessous de l’autre.

Cercueil en verre de Phra Ajahn Pane Anantho (Photo: Lao Temple)

En raison de l’instabilité et des bouleversements géopolitiques, liées à la seconde guerre du Vietnam, la commission ad hoc chargée d’organiser les obsèques de Phra Ajahn Pane Anantho n’avait fixé la date officielle qu’en 1974. Ironie du destin, le vénérable Nyanadharo Visuddhinyano, contraintde garder le froc à la suite de la mort subite de Phra Ajahn Pane, n’avait même pas pu assister au dernier hommage à son premier maître. En 1975, le futur fondateur du monastère Bodhinyanarama de Tournon se trouvait sur les trottoirs de Paris, en compagnie de clochards, comme réfugié politique…

Mais, comme disait Phra Ajahn Pane Anantho, « une bougie est destinée, par nature, à être brûlée pour apporter de la lumière et de l’utilité aux autres matières. De la même manière, un savant doit se sacrifier pour le bien-être et la bienfaisance des autres personnes. »

P.S. : mes sincères remerciements et mes salutations fraternelles à Ai Non Soulatha pour son aide à traduire des termes Pali, ainsi qu’à mon ami et camarade de promotion Vayolinh Phrasavat pour ses recherches de documents à Vientiane et dans les pagodes environnantes.

« Quand la bougie alla s’éteindre… Mais la lumière de l’enseignement et du Dhamma que Phra Ajahn Pane Anantho avait fait propager était en train, elle, de briller de tout son éclat dans le coeur de ses disciples comme dans celui des fidèles à travers toutes les horizons »

SOURCES

Ajahn Pane Anantho – ສັນຕິສຸກ ຂອງ ໂລກ (La paix du monde, en Lao), in https://lao-online.com/all_files/books/B00566.pdf

. ຫລັກການດໍາເນີນຊີວິດ ຂອງ ຊາວພຸດ (Règles de conduite de la vie des Bouddhistes, en Lao), in

. ຫລັກການດໍາເນີນຊີວິດ ຂອງ ຊາວພຸດ (Règles de conduite de la vie des Bouddhistes, en Lao), in https://fr.scribd.com/document/507973762/%E0%BA%AB%E0%BA%BC%E0%BA%B1%E0%BA%81%E0%BA%81%E0%BA%B2%E0%BA%99%E0%BA%94%E0%BA%B3%E0%BA%A5%E0%BA%BB%E0%BA%87%E0%BA%8A%E0%BA%B5%E0%BA%A7%E0%BA%B4%E0%BA%94%E0%BA%82%E0%BA%AD%E0%BA%87%E0%BA%8A%E0%BA%B2%E0%BA%A7%E0%BA%9E%E0%BA%B8%E0%BA%94

Viravong, Sila – ພົງສາວະດານລາວ (Phongsavadan Lao), Vientiane, EB 2500 (1957), 301 pages (en Lao)

Zen Training at Fort Benning, Buddhist Chaplain Parts: 1-2, in https://www.youtube.com/watch?v=jc-UAumSVL8 et

ຮ່ວມລະນຶກ 97 ປີ  ພຣະອາຈານໃຫຍ່ ມະຫາປານ ອານັນໂທ (Se souvenir des 97 ans du grand maître Maha Pane Anantho, en Lao), in ຈົດໝາຍຂ່າວ ຊາວພຸດ, ປີ ທີ່1 ສະບັບ ທີ່3 ປີ 2551 (Bulletin d’information des Bouddhistes, 1ère année, N°3, Année 2551)

ວິທີຝືກຫັດຈິດ ໃຫ້ ຈື່ຈໍາ (Manuel de formation mentale, en Lao), in https://punlao.com/simproject/diary/412/

ອະຈາຣິຍະ ບູຊາ ນຸສອນ (ຊີວິດ ແລະ ຜົນງານ ຂອງ ມະຫາ ອາຈານປານ ອານັນໂທ) – La vie et les œuvres de Maha Ajahn Pane Anantho (en Lao), in https://fr.scribd.com/doc/63090184/%E0%BA%AD%E0%BA%B2%E0%BA%88%E0%BA%B2%E0%BA%AE%E0%BA%B4%E0%BA%8D%E0%BA%B0%E0%BA%9A%E0%BA%B9%E0%BA%8A%E0%BA%B2%E0%BA%99%E0%BA%B8%E0%BA%AA%E0%BA%AD%E0%BA%99?fbclid=IwAR2a1u2bmzFcc6td8XRjO9mCOcipCw5078tB9v7HtmpB411aYmwG76-fSys#scribd

A propos laosmonamour

ເກີດຢຸ່ບ້ານມ່ວງສູມ ເມືອງທ່າແຂກ ແຂວງຄໍາມ່ວນ ໄດ້ປະລີນຍາ ຕຣີແລະໂທ ຈາກມະຫາວິທຍາໄລ Robert-Schumann (Strasbourg) ແລະ ປະລີນຍາເອກ ຈາກມະຫາວິທຍາໄລ Paris-Sorbonne, Paris IV Travaille à l'AFP Paris après une licence et une maîtrise à l'école de journalisme de Strasbourg (CUEJ - Robert-Schumann) et un doctorat au CELSA (Paris-Sorbonne)
Cet article a été publié dans Bouddhisme, Boun Kong Hod, Culture, Ecole des moines de la forêt, Enseignement, Isane, Lanexang, Laos, News, Parami, That. Ajoutez ce permalien à vos favoris.

Laisser un commentaire